Article paru le 18 novembre 2011 sur cafepedagogique.net.
L'école, cabane à lapins. Par Bernard Collot.
De l'air ! semble nous dire Bernard Collot. Il demande l'éclatement des écoles en micro structures. Mettre les villes à la campagne ? "La socialisation ne peut avoir lieu que dans des structures à la mesure de ceux qui les occupent", nous répond-il...
Un jour alors que j’intervenais dans un IUFM, nous nous rendions avec les étudiants prendre notre repas dans une cafétéria du coin. Notre trajet nous faisait passer devant la salle d’une cantine scolaire dont les fenêtres, grillagées, étaient ouvertes. Je demandais aux étudiants, futurs profs, de s’arrêter et d’écouter. Puis je leur posais la question : « Si dans ces locaux cela avait été des animaux d’élevage que vous auriez entendus, n’y en aurait-il pas eu un d’entre vous qui aurait téléphoné à la SPA ? » Quelques visages ont blanchi. Certains m’en ont voulu. C’est bien connu, lorsque l’on vit constamment dans l’anormalité, dans l’indécence, cela devient de la normalité et on ne voit plus ce dont nous devrions nous « indigner ». Lorsque je parle d’univers carcéraux à propos de l’école, c’est moi que l’on trouve indécent dans mes comparaisons. Et pourtant !
Cela fait bien longtemps que s’effectue inéluctablement la concentration scolaire, de même nature qu’a été la concentration urbaine. En milieu rural par déplacement des populations enfantines. Toujours avec de bonnes intentions affichées : donner plus de moyens aux profs, augmenter l’émulation, permettre les classes à un cours, etc. et, bien sûr, les fameuses économies d’échelle. Trois-cents enfants dans une école, c’est un petit village mais entassé dans un seul bâtiment, avec encore plus de promiscuité que dans une HLM. Que dire des lycées de 1000 ou 2000 élèves, petites villes sur un ou deux hectares. Les locaux étant généralement conçus comme un alignement de cases constituant des espaces où leurs « habitants » ne disposent parfois à peine plus que d’un mètre carré de mobilité. Evidemment comparer cela aux stabulations du bétail déclenche les protestations indignées et unanimes.
Cette concentration d’un grand nombre d’enfants, d’adolescents ou de jeunes adultes dans des espaces restreints amène une kyrielle de problèmes auxquels elle est rarement reliée. Sur les apprentissages d’abord, quelle que soit la pédagogie. On sait maintenant qu’aucun apprentissage ne peut s’enclencher et se poursuivre durablement dans le stress. Les processus d’apprentissage ont besoin de tranquillité pour s’enclencher ! Comment faire rester tranquilles dans un relatif silence, dans l’immobilité et l’attention pendant six voire huit heures par jour, un groupe de personnes serrées les unes contre les autres ? Les menaces les plus coercitives n’y arrivent plus. « Taisez-vous ! Restez assis » s’égosillent à longueur de journée de nombreux profs qui finissent par craquer eux aussi. Même « faire de la pédagogie moderne » dans ces conditions relève du chemin de croix. Les enquêtes statistiques des compagnies d’assurance sur les pics de fréquence des accidents pointent les moments de sortie de cours ou de classe. La sonnerie, quand ce n’est pas la sirène, ouvre le couvercle d’une cocotte minute, et c’est l’explosion dans les couloirs ou une cour de récré, autre carré bétonné. Je ne m’étendrai pas sur les conséquences sur la santé physiologique et psychique du stress provoqué par les entassements humains. Conséquence aggravée quand les enfants sont dans la même situation de promiscuité dans leurs habitats des cités. Pour beaucoup, le seul endroit où ils peuvent s’isoler sont… les WC. Et encore, pas toujours et pas librement dans les établissements scolaires !
L’école accueille et doit socialiser des troupeaux. En dehors des apprentissages, l’école, qu’elle le veuille ou non, est devenue le principal espace de socialisation, ne serait-ce que parce que les enfants et les ados y passent une très grande partie de leur vie. En ce sens, elle est bien aussi responsable des maux dont elle se plaint, dont on se plaint. Ah ! Si tous ces jeunes étaient socialisés ! Alors, qu’entend-on par socialisation ? Pour beaucoup c’est l’intégration passive des règles et c’est ce qui devient seulement possible lorsque les groupes sociaux ne peuvent plus n’être que des troupeaux. Les règles ne peuvent alors qu’être coercitives, liées à des sanctions. Lorsque le rapport règles/sanctions ne peut plus s’accroître, lorsque les règles ne peuvent plus apparaître comme un cadre permettant une certaine autonomie, voire une certaine liberté individuelle dans les groupes, lorsqu’elles arrivent à ne plus pouvoir tenir compte de « l’être » de chacun, lorsque leur objet n’est plus que le maintien coûte que coûte d’un système en état de fonctionnement, alors les transgressions aux règles, les rebellions ne deviennent que des phénomènes que l’on peut qualifier de survie psychologique individuelle. Elles deviennent normales. La révolte et les formes violentes qu’elle peut prendre deviennent parfaitement explicables. Les mécanismes de feedback que des règles devraient être censées mettre en place n’existent pas et la violence entre les membres du troupeau devient la règle. Tout devient affaire de rapports de force, entre l’institution et ceux à qui elle s’adresse, entre chacun des individus qui sont maintenus en son sein. L’école concentrationnaire est de facto a-socialisante ou dé-socialisante, sans que cela soit une volonté délibérée de ses enseignants. Ceci étant accentué par le découpage industriel de la masse à répartir et à déplacer dans des cases, du temps à répartir par matières et de la pédagogie frontale alors la plus facile à appliquer. On peut parler de déshumanisation devenue quasiment indispensable pour que le système tienne.
Lire la suite de l'article ici.