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A la rencontre de l'Islam
Laïcité est un mot qui revient souvent dans les discours, tel un pilier de la République française. Et c'est en effet à mon sens un élément précieux de cohabitation de peuples brassés se construisant une identité commune.
Nous avions largement eu l'occasion d'observer ce vivre ensemble à Singapour, où mosquées, temples bouddhistes, hindous, sikhs et églises se rencontraient parfois sur un même trottoir, chaque pratiquant vivant sa religion dans le respect des convictions des autres. Il n'était pas rare non plus de croiser de petits autels de rue sur lesquels étaient disposés des offrandes enrubannés de volutes d'encens.
C'est toujours dans une démarche culturelle d'ouverture aux autres et à leurs croyances, pour une meilleure compréhension du monde et du peuple qui l'habite, que nous sommes allés visiter ces lieux de culte. Suite aux interrogations de notre, alors petit, Nathanaël, nous avions d'ailleurs saisi l'occasion pour voyager jusqu'en Israël et en territoires palestiniens.
Dans le programme d'Histoire du collège, qui nous sert bien souvent de fil conducteur pour tisser nos apprentissages, nous avons rencontré la naissance des religions monothéistes, judaïsme, christianisme puis islam. Face aux tensions particulièrement palpables dans notre pays au sujet de la pratique de cette dernière, j'ai eu envie d'aller à sa rencontre afin que nos enfants en connaissent les fondements et pratiques. L'ignorance est bien trop souvent le terreau de la haine et de la violence.
J'ai donc demandé à des amis musulmans s'il serait possible de visiter la mosquée où ils se rendent en famille et d'avoir un échange sur la religion qu'ils pratiquent. Le Covid nous a fait patienter un moment avant que cette visite puisse enfin avoir lieu. Nombreuses étaient les familles de notre groupe IEF à vouloir participer à cette rencontre, si bien que nous nous sommes divisés en deux groupes d'une vingtaine de personnes, enfants et adultes, et nous sommes retrouvés en mars devant le Centre Islamique de Villeneuve d'Ascq.
La naissance de ce centre a émergé d'un besoin des habitants de confession musulmane d'avoir un lieu de prière adapté à leur nombre, l'ancien bâtiment étant devenu vétuste et trop petit. Grâce à des fonds collectés auprès de cette communauté, le projet a pu prendre vie au début des années 2000 et la mosquée a ouvert ses portes en 2011. Le centre islamique est géré par une association qui propose, en plus d'un lieu de culte ouvert à toutes et à tous, un enseignement de la langue arabe, de l'art de psalmodier, mais aussi des moments de rassemblement festifs, des conférences, des activités sportives et culturelles, du soutien scolaire...
Nous visitons le centre un lundi après-midi, moment où les lieux sont presque déserts.
C'est tout d'abord l'architecture que nous observons. Loin des images traditionnelles, cette mosquée moderne se détache sur le paysage avec ses hauts murs blancs et ses grands pans de verre offrant en intérieur des espaces aérés et lumineux.
Sur notre gauche, les bureaux de l'association, sur notre droite, la salle de prière. Il nous faut avant d'y pénétrer ôter nos chaussures pour préserver la propreté du lieu. Les personnes venant y prier doivent également procéder à des ablutions.
Ici nos amis Bouchaïb et Samira nous expliquent la disposition des fidèles pour prier : au rez-de-chaussée pour les hommes, à l'étage pour les femmes, en ligne, face au mihrab indiquant la direction de la Mecque et au minbar en bois, d'où l'imam fait son prêche.
Le long des fenêtres sont disposés des exemplaires du Coran, livre sacré des musulmans, mis à disposition des fidèles. Nous avons le loisir de les feuilleter et d'apprécier l'esthétisme de la calligraphie arabe, que l'on retrouve également en différents endroits de la salle. Nous apprenons que tout musulman possédant la connaissance des textes sacrés peut venir prêcher devant la communauté.
Deux écrans indiquent les heures des 5 prières quotidiennes. L'appel à la prière du muezzin d'ordinaire lancé depuis le minaret est interdit en France. Chacun de ces moments est vécu dans la journée comme une pause, un recentrement sur l'essentiel dans la frénésie de la vie quotidienne.
Nos deux guides nous racontent les origines de l'islam, religion monothéiste fondée dans l'Arabie du VIIème siècle par le prophète Mahomet, qui reçut de l'archange Gabriel la parole de Dieu, retranscrite dans le Coran, dans la continuité du judaïsme et du christianisme dont les prophètes sont également reconnus. L'islam, qui signifie "soumission à Dieu", comporte 5 piliers : la profession de foi, les cinq prières rituelles, l'aumône, le jeûne pendant le mois du Ramadan et le pèlerinage à La Mecque si on en a les possibilités physiques et financières. Samira nous explique enfin la différence entre religion et tradition, la première faisant uniquement référence au texte sacré, la seconde étant liée à des lieux, des époques, des peuples, des évolutions. Une différence parfois difficile à cerner pour les non-initiés et parfois aussi pour les musulmans eux-mêmes.
La discussion se poursuivra encore en-dehors des murs sur des questions précises comme le port du voile pour les femmes ou le terrorisme islamiste. C'est avec une grande ouverture de cœur et d'esprit, dans l'humilité, la tolérance et la bonté que nos amis nous ont donné accès à leur lieu de culte et à leur vie spirituelle. Un grand merci à Bouchaïb et Samira pour ce partage.
Quelques jours plus tard je proposais au groupe d'explorer davantage le sujet de l'Islam, cette fois par le versant culturel. J'avais pris contact avec la Maison Folie de Tourcoing, l'Hospice d'Havré, pour une visite guidée suivie d'un atelier autour de l'exposition "Arts de l'Islam, un passé pour un présent", un événement se tenant conjointement dans 18 villes de France de novembre à mars. Dans chaque ville, 10 œuvres sacrées ou profanes venues du musée du Louvre ou d'autres collections (localement : LAM, bibliothèque universitaire de Lille, DRAC d'Amiens, musée Vivenel de Compiègne), apportent des regards d'artistes et les témoignages d'un lieu, d'une histoire, d'une époque, d'un quotidien, d'une spiritualité.
A l'Hospice d'Havré, c'est Perrine qui nous accueille pour la visite. Elle commence par interroger les enfants sur ce qu'est pour eux l'art et quelles formes il peut prendre avant de leur expliquer que les objets exposés ici sont plutôt le fait d'artisans et qu'il n'y a pas de message derrière, à l'exception d'une œuvre contemporaine située derrière nous, réalisée par l'artiste iranienne Fariba Hajamadi. Les enfants sont invités à la décrire et à essayer d'en interpréter le message.
Pour nous situer la provenance des objets que nous allons ensuite découvrir, nous observons une carte représentant l'expansion artistique et culturelle de l'Islam dans le monde.
Nous découvrons d'abord dans une vitrine un tapis de selle d'apparat brodé, offert par un militaire égyptien à un militaire napoléonien. Notre guide nous fait observer les matériaux précieux utilisés et les motifs chargés de symboles, au croisement des cultures occidentales et orientales.
Dans une seconde vitrine se trouve une hache de selle de type persan, arme de combat devenue attribut des derviches pour certaines de leurs pratiques rituelles.
Perrine nous présente ensuite plusieurs livres tout en invitant le groupe à décrire et interpréter.
- Un livre de prière d'al-Jazûlî, mystique marocain du XVIIème siècle. L'exemplaire en vitrine vient de Turquie et illustre les deux villes saintes de l'islam : La Mecque et Médine.
- Un manuscrit reprenant les vers du poète Saadi qui vécut en Iran au XIIIème siècle et dont le recueil de textes exposé provient d'Inde, au XVIIIème siècle. Ce "miroir des prince" avait pour vocation de développer le sens moral et l'art de gouverner à travers des fables où l'amour et la beauté étaient mis en avant.
- Un album de peintures venu de l'Iran du XIXème siècle reliant en accordéon plusieurs scènes, tels des cartes postales, entourées de vers écrits en turc.
L'objet livre qui voyage fait ainsi voyager avec lui la pensée, la spiritualité, la culture.
Une autre vitrine expose un plat russe en porcelaine commandé à un artisan par un client iranien où se mélangent, pour répondre au goût iranien de l'époque, des décors de fleurs, papillons, oiseaux, dans un ton bleu nuit réhaussé de doré, typiquement russe.
Les vitrines suivantes nous présentent des objets sacrés : un reliquaire (sans sa relique !) d'Egypte du XIIIème siècle, en cuivre doré et cristal de roche ; un étendard de procession chiite du XIXème siècle. Ici les cinq doigts de la main représentent la famille de Mahomet (Mahomet, sa fille Fatima, son gendre Ali et leurs enfants Hasan et Hussein). Cette main est utilisée pour la commémoration du sacrifice d'Hussein contre les armées du calife omeyyade en Irak.
Nous observons ensuite un chandelier du XVIème siècle, en laiton incrusté d'or et d'argent, ayant appartenu au fils d'un juge influent du Caire dont le nom est inscrit en arabe. Note guide nous fait remarquer que les motifs de feuilles de lierre sont celtiques et plutôt rares.
Enfin pour terminer, une pièce de tissu imposante habite la dernière vitrine. Il s'agit d'un caftan d'apparat, autrement dit un long manteau, porté traditionnellement pour les grandes fêtes au Maghreb, d'abord uniquement par les hommes, puis par les femmes. Celui-ci, paré de soie verte et de fils d'or vient de Rabat et pèse environ 5 kg.
Tous ces objets nous montrent ainsi comme la culture voyage, se transmet, se mélange et demeure un patrimoine précieux pour notre connaissance du monde et des peuples qui se côtoient.
Après la visite de l'exposition, Perrine nous invite à un atelier ornemental. Les enfants se mettent par groupes de trois, dessinent des motifs inspirés de l'exposition, découpent des cadres et les combinent entre eux pour former trois réalisations collectives uniques.
Les réalisations combinées de Nathanaël, Joshua et Wassil
Deux visites très enrichissantes que toutes les familles ont appréciées.
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