• Retour à l'Age industriel

    Nous avions rendez-vous vendredi dernier sur la Grand Place de Roubaix pour un parcours immersif dans la période de l'Age industriel. Notre guide Isabelle a aussitôt proposé à notre groupe d'endosser l'identité de différentes personnes ayant vécu ou joué un rôle pour la commune.

    Plans à l'appui, Isabelle nous a montré l'évolution de la ville qui passa en moins d'un siècle du statut de petite bourgade rurale à celui de ville parmi les plus riches de France avec une population multipliée par quinze ! Joshua a été appelé à jouer le rôle de l'architecte Théophile Coliez et, avec la complicité de notre guide, à expliquer tout au long de la visite les différentes extensions et aménagements de la ville. 

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    Apparue sur les cartes dès le IXème siècle, un tournant s'opère en 1469 lorsque Charles le Téméraire octroie à la ville, alors sous la protection du seigneur Pierre de Roubaix, l'autorisation de commercer le textile, monopole jusque-là détenu par les villes de Lille et Tournai. La Charte des Drapiers est la clef qui ouvre la voie à un commerce florissant et à la fortune de la ville.

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    Tapisserie exposée au musée La Manufacture à Roubaix évoquant l'annonce de la Charte des Drapiers

    Mais ce n'est qu'au XVIIIème siècle que l'industrialisation commence. A tour de rôle, chaque membre du groupe muni d'une petite fiche vient expliquer qui il est et ce qu'il a fait durant cette ère.

    Ainsi, Samira alias John Kay invente en 1733 la navette volante du métier à tisser. M. Jacquard est identifié comme le père de l'informatique pour son invention de fiches cartonnées perforées qui soulèvent les fils de la chaîne du métier à tisser comme nous aurons le loisir de l'observer plus tard dans la journée à la Manufacture. Notre amie Gabrielle devient Mr Watt et invente en 1784 la machine à vapeur qui va se propager en Europe si bien que 500 seront en circulation dès le début du XIXème siècle. En 1820, Eugène Grimonprez, patron de filature interprété par Nathanaël, importe la première machine à vapeur dans un atelier. Si certains artisans continuent à produire dans leurs logements, des usines voient le jour, avec un besoin de main d'œuvre accru. Le terme d'ouvrier apparaît alors, les agriculteurs se reconvertissent, certains viennent même de Flandres belges. La population roubaisienne passe à cette époque de 8 000 habitants en 1800 à 13 000 habitants en 1820 et 40 000 en 1840 ! Les grands patrons veulent plus de terrains pour construire les usines et le plan d'urbanisation se modifie en conséquence ("N'est-ce pas M. Coliez ?"). L'un d'eux, M. Bulteau-Florin, est nommé maire en 1821. A partir de 1827, on creuse le canal de Roubaix reliant l'Escaut et la Deûle afin d'approvisionner par péniche les usines en charbon et en matières premières : coton des Amériques, lin, laine d'Argentine, d'Australie, de Nouvelle-Zélande... ainsi qu'exporter les produits finis. Le canal connaîtra de nombreux changements de tracés et les travaux façonneront le paysage roubaisien (cf Parc Barbieux).

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    Nos pas nous mènent de la Grand Place à ce qui fut une usine, dont nous observons l'architecture : murs de briques, faites de l'argile locale, sheds (toit en dents de scie) avec fenêtre sur le versant nord pour ne pas avoir trop chaud. Ulysse devient alors Henri Delattre, grand patron de filature et maire sans scrupule, ayant obtenu de nombreuses médailles à des expositions internationales.

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    Un peu plus loin, de grosses maisons tantôt de briques et de pierres avec fenêtres plein cintre, tantôt de style néoclassique régional, avec frontons gréco-romains, révèlent la fortune de leurs propriétaires. 

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    Pour voir le revers de la médaille, nous nous rendons ensuite dans une courée, où logent vers 1830 les ouvriers. Tout près de l'usine pour être en tout temps disponibles. Les propriétaires de ces lieux sont généralement des commerçants, cabaretiers. Ici pas d'eau courante dans les maisons, une pompe et des toilettes communes à l'extérieur, avec une rigole au centre pour les eaux usées et les problèmes d'hygiène que l'on peut imaginer. Les épidémies, notamment de typhoïde, ne sont pas rares et c'est alors toute la courée qui est mise en quarantaine. A l'intérieur, un espace de 30 m², avec une pèce commune (cuisine, salle à manger) et une chambre commune sous les combles. Certains ouvriers employés par des fabricants travaillent de chez eux, ce qui est moins pénible en terme de cadence, tout en devant rester productif évidemment.

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    Parallèlement aux patrons fortunés, nous rencontrons ainsi des familles d'ouvriers dans lesquelles hommes, femmes et enfants travaillent, ce dès l'âge de 6 ans. Ici Robin nous explique qu'il a 8 ans et gagne 50 centimes pour 15h de travail par jour ! Une femme touche un salaire d'un franc tandis qu'un homme en touche deux. Les temps de pause sont limités, le travail démarre à 5h et se termine à 20h, du lundi au samedi. Depuis la loi Chapelier de 1791, les grèves sont passibles de prison, jusqu'à 5 ans pour les organisateurs, quelques mois pour les participants. Et même si à partir de la moitié du XIXème siècle la loi Olivier autorise les grèves, cela reste très mal vu et sanctionné de renvoi. 

    Malgré tout, des avancées sociales s'opèrent à la fin du siècle, avec l'instruction obligatoire pour les enfants en 1881, qui de fait limite leur travail et offre quelques perspectives avec le brevet à 12 ans ; la durée du travail quotidien passe à 10 heures en 1910, le salaire à 3 francs par jour ; les premiers syndicats apparaissent (CGT). En 1892, le premier maire socialiste (POF), M. Carette, élu par les ouvriers, met en place les cantines scolaires et fait beaucoup de choses pour améliorer la condition des ouvriers. A cette époque la mortalité infantile est énorme, 1 enfant sur 4 décède avant l'âge d'un an chez les ouvriers. L'association Goutte de lait offre des soins médicaux et du lait aux ouvriers.

    Au début du XXème siècle, Roubaix est à son apogée et une des villes les plus riches de France. Les patrons font construire des usines en briques, fer et fonte, ils ouvrent des bureaux à Buenos Aires, voyagent en Afrique du Sud, aux Etats-Unis... Ce n'est qu'à la fin des années 60 que la prospérité de la ville décline, principalement à cause des crises pétrolières, des usines vieillissantes, de la délocalisation pour une main d'œuvre moins chère. Les usines ferment dans les années 80. Seuls les sièges sociaux des entreprises sont encore présents tandis que le chômage local explose. 

    Après deux heures en compagnie de notre guide et des personnes qui ont fait l'Histoire de Roubaix, ouvriers, maires, architectes, inventeurs et patrons, nous nous transportons vers le musée La Manufacture. 

     

    Dans cette ancienne usine de textile d'ameublement convertie en musée de la mémoire et de la création textile, nous sommes accueillis par une autre guide, Aurore, qui nous distribue à son tour quelques rôles avant de nous accompagner près des machines éclairées par une agréable lumière naturelle provenant des fenêtres au plafond. Nous voici pour commencer devant un métier à tisser médiéval, où notre guide nous explique les différents métiers de la laine qui doit être nettoyée, cardée, filée avant de pouvoir être tissée ; elle nous montre également les différents éléments du métier :  cadre, pédale, chaîne, peigne... et réalise une démonstration de tissage, à l'ancienne. 

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    Puis arrive l'invention de la navette et les métiers automatisés en 1860. La machine à vapeur se situe alors à l'extérieur de la salle des métiers et l'énergie est acheminée jusqu'aux machines. Nous retrouvons ici les cartes de M. Jacquard, chaque carte correspondant à une ligne de tissage.

    L'entreprise de M. Craye est alors réputée pour ses velours, ses tissus jacquard, ses tapis puis ses tapisseries médiévales flamandes. 

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    Le métier à tisser électrique tourne à 80 coups par minutes, soit 2.40 m de tissu par heure.

    L'exposition de 1911 à Roubaix est une vitrine prestigieuse pour les industriels qui voient passer 1,7 millions de visiteurs. Mais cet Age d'Or est brisé par la première guerre mondiale, les métiers en acier sont fondus pour l'armement, les hommes partent à la guerre, les grandes familles sont impactées.

    Les métiers évoluent dans les années 50-60. La lance remplace la navette, des crochets y sont ajoutés, qui viennent prendre les fils de trame. Des bobines énormes sont placées dans des casiers et le fil circule dans des prédélivreurs. On est ici à 120 passage de lance par minute ! Notre guide met en marches quelques machines et l'on peut imaginer le bruit assourdissant qui devait régner dans l'atelier avec toutes les machines en fonctionnement !

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    Dans les années 60 arrive une vague de travailleurs étrangers, d'Italie, de Pologne, du Portugal, du Maghreb... Mais les machines sont de plus en plus automatisées, une seule personne est nécessaire pour 4 machines. Cela génère du chômage.

    Avec le système Dornier dans les années 90 et son relai de fil entre deux lances, on est à 250 passages par minutes ! Puis avec les systèmes par jet d'air ou d'eau à 1000-1500 passages par minute ! 

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    Mais l'heure est à la désindustrialisation, au libre échange, à la faillite ou à la délocalisation. 

    Dans un dernier recoin du musée, nous découvrons les nouveaux métiers du textile, tels les ingénieurs, qui inventent de nouvelles fibres synthétiques pour les gilets pare-balle, pour les tenues de pompiers, mais aussi pour l'isolation des maisons ou pour des patchs d'implants médicaux. Linda joue pour finir le rôle d'une acheteuse se fournissant en jeans à l'étranger tandis que j'entre un instant dans la peau d'une créatrice de mode parisienne (tellement moi !).  

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    Reste de cette époque de l'Age industriel roubaisien quelques cheminées qui fort heureusement ne crachent plus leur fumée noire, des noms de rue évocateurs, un hôtel de ville imposant et surtout le brassage culturel de 80 nationalités ! 

    Merci à Linda pour l'organisation de cette journée très instructive et à nos guides pour nous avoir si bien accompagnés dans ce voyage dans le temps. Grâce à cette visite, nous ne regarderons plus la ville du même œil. 


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