• Mémoire d'écolière

     Je pense avoir eu une enfance assez ordinaire d'un point de vue scolaire. Je ne pense pas avoir été traumatisée par mon passage à l'école (quinze années, sans compter l'université et l'IUFM... peut-on vraiment parler de "passage" ?). J'ai toutefois voulu me prêter à l'exercice d'aller fouiller au fond de ma mémoire pour voir ce que je pouvais en ressortir, sans faire de tri. Et voici donc...

     

    De la maternelle, je garde peu de souvenirs. Il me semble revoir une grille blanche, près d'une école de musique... Je me souviens (ou bien sont-ce les photos qui me le rappellent ?) que je portais un joli tablier avec mon prénom brodé dessus et un petit coupon de couleur indiquant mon groupe. Ma grand-mère avait confectionné ce tablier...

    Aucune maîtresse ne me revient en mémoire. Quant aux salles de classe... Je me souviens juste que jour après jour nous devions lever la main pour dire la date et que je demandais le matin-même à mon père de me dire quel jour nous étions afin d'apporter la bonne réponse (ce qui n'était sans doute pas l'objectif d'apprentissage de mon enseigante).

    Mon frère est entré en maternelle quand j'étais chez les "grands" et je me rappelle l'avoir croisé dans l'école en pleurs, petit poussin du groupe "jaune"...

    Un souvenir gustatif : je décollais par terre dans la cour de l'école les chewing-gums gardant les traces des semelles enfantines, pour à mon tour les mâchouiller et faire craquer sous mes petites dents de lait les graviers emprisonnés dans la pâte... Mmm ! Maman remarqua un jour cet intrus dans ma bouche, je ne sais quelle remarque elle me fit alors mais j'arrêtai (appréciant ensuite pour un temps la sensation métallique du papier des Kinder Surprise, que je n'avalais heureusement pas !).

     

     

    Je ne sais pas si j'ai pleuré lors de ma rentrée au CP, ni les années suivantes. Je sais que chaque fois j'avais l'estomac noué, la gorge serrée. Idem à chaque retour de vacances. Mais ça finissait par passer.

    J'écoulais des journées complètes dans cette école, de la garderie du matin à l'étude du soir, rentrant avec mon frangin main dans la main sans faire de détour, ni parler à un inconnu, ni ouvrir la porte une fois rentrés dans l'appartement.

    Je me souviens de chaque enseignant , visage et nom, de cette période. Je trouvais mon instituteur de CP très beau. En revanche la directrice, avec laquelle il partageait la tâche d'enseigner, et qui se faisait de longues couettes, ne me faisait pas rêver. De cette classe, je retiens la recette de l'omelette et surtout la demonstration en direct (ce n'est pas tous les jours qu'on cuisine à l'école !), les chansons et comptines avec la large et belle écriture sur mon cahier de recueil, les petits livres pour apprendre à lire, une collection avec pour personnage principal un drôle de bonhomme (un dinosaure ?) violet. Et puis ce fameux modèle de tenue du crayon, placardé sur les pupitres.

    En CE1, je fais un voyage dans le temps. Mon maître nous observe du haut de son estrade, campé derrière son bureau, distribuant hiérarchiquement bons points, images, grandes images et maquettes aux bons élèves (dont je fais partie). Il distribue aussi des remarques humiliantes (j'en reçus une pour un rot qui m'échappai un jour), des fessées et met de la moutarde sur les ongles rongés, quand il ne tire pas une oreille (la rumeur dit que l'une d'entre elles lui serait d'ailleurs restée entre les doigts...). De ses cours, je me souviens des poésies récitées où nous participions à la notation sur ardoise de nos pairs (elle était bonne la future maîtresse là-dedans !), aux faux-vitraux découpés dans du joli papier transparent coloré, à une médaille que je reçus en gymnastique et dont son épouse, enseignant dans l'autre CE1, me tressa le cordon bicolore. Nous partîmes voir les falaises d'Etretat, dans quel contexte, j'ai oublié, mais je me souviens de la plage de galets (moi je pars en vacances sur des plages de sable, imaginez-vous !).

    Je me demande si je n'imitai pas un jour ma première signature pour un contrôle de peur de représailles pour un oubli...

    La remise des carnets de note était aussi une cérémonie. Je n'ai identifié que récemment le dessin sur la page de couverture de ce morceau de carton tant attendu. Ce que je prenais pour un cétacé était en fait.. un oeil. Quoi qu'il en soit, j'étais toujours dans les cinq meilleures élèves de la classe mais l'appréhension lors de la remise était toujours la même, les bulletins tombant entre nos mains dans l'ordre des résulats obtenus sur le trimestre. Il n'est jamais trop tôt pour aiguiser l'esprit de compétition, non ?

     

    Je passe en CE2 où la maîtresse, moins terrifiante, est tout de même assez sèche. Heureusement que l'odeur des feuilles fraîchement polycopiées nous enveloppe sirupeusement... Je reçois ma première punition qui consiste à rester plantée comme un piquet au milieu de la cours (et des autres enfants) pendant la récréation. Humiliation qui a le mérite d'être efficace puisque ce sera la seule et unique fois. Ah si, j'en ai quand même une autre à l'occasion d'une sortie, autour du bâtiment de l'école, où elle me demande de regarder le mur, vers le haut, pour y repérer l'anotation "école de garçons" ; ne voyant pas, j'acquiesse quand même et me ramasse une fessée tout en me faisant traiter de menteuse.

    Nous partons cette années-là quelques jours en Camargue. Le travail en amont est fastidieux, un gros cahier à remplir d'images, d'Histoire, de descriptions... Je ne suis pas enthousiasmé par cette recherche préliminaire mais j'aime bien le petit coeur autocollant en relief que j'ai collé sur la couverture. Le voyage se passe bien, enfin je crois, je ne m'en souviens plus trop. Je me sens une grande, je pars sans mes parents, avec mes copines. La mère de Lucie qui nous accompage s'appelle Mercedes. Waaah ! Quelle chance ! Ca fait exotique ! Etais-je dans son groupe au moins ? Peut-être.

    12 ans plus tard, au cours d'un stage de préparation au métier d'enseignante, je retrouve cette même institutrice, au même niveau, resservant les mêmes cours. Seule la méthode de photocopiage et son nom de famille ont évolué. La vision de mon ancien maître de CE1, arborant une chemise hawaïenne multicolore, me paraît soudain plus comique que celle rangée dans le tiroir gauche de mon cerveau.

     

    En CM1 et CM2 je suis instruite par un couple d'enseignants plus âgés et aussi plus doux. Madame m'appelle "cocotte", je trouve que c'est elle qui ressemble à une poule ! J'aime les cadeaux que nous fabriquons pour la fête des pères et des mères (je ne sais pas si mes parents les ont, eux, autant aimés). Papa a eu droit à un porte-clefs en cuir gravé, ça faisait des étincelles !

    En CM1, je ne sais plus ce que j'ai appris, mais je sais ce que j'ai raté : la leçon sur le complément d'agent du verbe, parce qu'un de mes camarades de classe m'avait demandé l'heure au moment de l'explication cruciale... et aujourd'hui je n'ai toujours pas comblé cette lacune.

    En CM2, Maman vient participer les samedis matins à un atelier de couture. Nous brodons des pochettes à serviette je crois. Je suis contente que Maman soit là mais en même temps j'ai peur qu'elle m'appelle par un petit nom, me bisouille ou me câline devant les copains... De même lorsque Papa nous accompagne le matin avec sa toute nouvelle acquisition... une Porsche... Comme je n'aime pas me faire remarquer, je lui demande de me laisser avant l'école et il prend parfois plaisir à me déposer juste devant et à me faire devenir cramoisie de gêne.

    Mon plus gros souci en cette dernière année de primaire, c'est qu'un garçon de ma classe s'appelle Karim et que chaque fois que mon maître prononce l'un de nos deux prénoms, je ne peux identifier duquel il s'agit et cela me stresse.

     

    Evidemment, mes meilleurs souvenirs d'école se sont déroulés dans la cour de récréation, à jouer aux billes sur la partie pavée et accidentée de l'asphalte, à sautiller de part et d'autre d'un élastique tendu, à chantonner tous les génériques de nos dessins animés préférés avec ma meilleure amie Nadège, parcourant de long en large, bras-dessus bras-dessous les mètres carrés de cette cour, et puis grandissant, chahutant les garçons, nous prenant pour des as de karaté (Bruce Lee est alors mon héros), frappant sans état d'âme et nous réfugiant dans les toilettes des filles quand plus fort que nous se présentait.

     

    De cette période, je garde aussi en mémoire les commentaires redondants m'étiquetant comme "timide", un corps chétif qui me vaut le surnom de squelettor, mes lèvres violacée tandis que j'attends grelottante en ligne mon tour pour faire les longueurs imposés dans l'eau froide de la piscine municipale...

     

     


    Tags Tags : , , , ,