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Genèse d'un projet
"Quand je serai grande, je serai maîtresse d'école !"
Combien de petites filles ont eu ce rêve ? Combien ont aligné leurs poupées pour leur faire réciter leurs leçons, leur apprendre une langue étrangère, savant mélange de la planète Zorba et du pays des schtroumpfs, féliciter ses chouchoutes, donner des punitions à celles qui avaient des têtes de peste, encourager celle à qui il manque un oeil, remplir des carnets de notes avec soin, écrire des dictées avec application...
Et puis un jour, on y est vraiment, les poupées sont de chair et de sang, ne sont pas aussi disciplinées, ont un vécu, des émotions, des souffrances, des joies à exprimer, des questions à poser, des difficultés à surmonter. Et je découvre que ma passion pour ce métier n'est pas la transmission des connaissances (que je ne possède bien souvent pas d'ailleurs et que je découvre comme eux, avec mes yeux d'enfant curieux retrouvés) mais l'épanouissement de ces petits êtres fragiles et précieux. Certes, à travers la connaissance du monde qui les entoure et sur laquelle je m'efforce de greffer toutes les matières imposées par le curriculum du ministère de l'éducation. Mais quelle lourdeur ! Difficile de sortir des sentiers battus...
La maîtresse se prend alors à vouloir faire l'école buissonnière... avec ses élèves ! Monter sur les tables pour faire des maths, lire le petit Nicolas dans l'herbe, chanter du Thomas Fersen, c'est déjà sortir du cadre, mais c'est encore trop étroit. Ce programme et ces bulletins scolaires nous rattrapent toujours : ouvrez donc plus grand la bouche que je déverse le savoir dans l’entonnoir ! Ce n'est pas appétissant ? Comment vous dire que moi non plus je ne trouve pas cela très digeste même si je fais de mon mieux pour alléger la mixture ? Mais qu'il faut l'ingérer, parce que le système est ainsi fait.
Et puis le ventre de la maîtresse s'arrondit. Et puis dans le cœur de cette maîtresse, un seul être va venir remplacer tous les autres. Départ pour la Belgique, congé, grossesse solitaire et réflexions sur l'avenir. Nous ne sommes plus deux, nous allons être trois. Et ce petit bonhomme qui va venir au monde - tiens, le voilà déjà !- va bouleverser non seulement notre quotidien, notre organisation mais notre façon de penser et de voir le monde. Impossible désormais de revenir au schéma antérieur, ce serait hypocrite. Notre conscience s'ouvre davantage. Ouvrages de pédagogies alternatives, témoignages de familles, articles et reportages sur l'école, sur les écoles dans le monde... voilà comment commence à s'insinuer un projet...
Naissance d'un projet de famille, d'un projet de vie
Non, je ne reprendrai pas le travail, d'une part parce que je ne suis pas en phase avec le système éducatif, mais surtout parce que notre fils est désormais au centre de mes intérêts, ou plutôt des siens, et que je veux le voir s'épanouir, s'ouvrir au monde dans le respect de sa personnalité, de son rythme, de ses envies. Je veux voir l'étincelle de curiosité qui vit en chaque enfant danser dans ses pupilles le plus longtemps possible.
Alors au départ je pense plutôt à la création d'une structure, une sorte d'école parentale, un format participatif, où d'autres parents partageant mes convictions pourraient former l'équipe éducative et se relayer en fonction de leurs dispositions, de leurs talents personnels pour transmettre leur passion aux enfants. Nous sommes à Lille. En France ce n'est pas trop compliqué de créer une école. Ce sont quand même des contraintes, des compromis. Je potasse, je poursuis mes recherches. Et je découvre l'IEF, l'Instruction En Famille. Sous ce terme, quelques milliers de familles choisissent, pour de multiples raisons, de ne pas scolariser leur enfant, ou de le déscolariser (ce qui est encore la majorité des cas) pour lui offrir une instruction "à la maison". Je mets entre guillemets car c'est très réducteur comme espace pour désigner tous les lieux accessibles en-dehors de l'école ! Trois associations se sont formées pour représenter ces familles, les soutenir et défendre leurs intérêts : LEDA, CISE et LAIA. Pourquoi trois ? Parce que chaque projet familial est différent et rencontre forcément des attentes et des façons de faire différentes. Entre liberté totale de l'enfant, refus d'imposer des apprentissages (en anglais "unschooling") et reproduction à l'échelle familiale d'une salle de classe, cours par correspondance, manuels scolaires suivis à la lettre, il y a une palette de possibilités.
Je prends contact, j'assiste à un maigre regroupement sur la Grand-Place de Lille lors de la JIPLI (Journée Internationale Pour la Liberté d'Instruction), je réalise que le département du Nord est pauvre en familles IEF (20 en tout sur la région !). Il faut à nouveau bien réfléchir. La peur de l'isolement, la pression sociale, les doutes m'assaillent. J'inscris en cette rentrée scolaire Nathanaël à la halte-garderie, parce que les amies me disent que j'ai besoin de temps pour moi, parce que la famille pense qu'il doit voir des enfants de son âge, aller en collectivité... Allez, essayons deux matinées par semaine, on verra bien. Il y a une liste d'attente pour s'inscrire ici, des intervenants en musique, en lecture, des animaux de la ferme chaque mois, une sortie à la bibliothèque, de la motricité... Bon, il devrait être bien et découvrir plein de choses.
Sauf que non. J'ai l'impression de déposer mon fils dans la salle d'attente d'un médecin qui ne vient jamais, je le récupère dans le même état que je l'ai laissé, triste, terne, ensangloté et avec une tétine pluggée dans le bec pour le rendre un peu plus passif encore, des fois qu'il exprimerait un désir. Je décide une fois par semaine de l'accompagner, d'assister à l'atelier de musique, d'aller à la bibliothèque. Et là il se métamorphose, il apprécie l'activité, sa langue si habile se délie et le personnel découvre que "mais il parle très bien !". Faut-il forcer encore ? Il va peut-être finir par apprécier d'y aller sans moi ? Oh oui, il faut, il faut-il faut-il faut ! A un an et demi, on est grand, on ne doit plus rester dans les jupons de sa maman comme ça ! Et dans quelle école ira-t-il à la rentrée ? Parce qu'il est né en décembre, donc la rentrée à 2 ans et demi, c'est bon. Quelle chance ! Combien de parents se démènent pour que leur enfant entre tôt à l'école, tétine et doudou ficelés au corps pour compenser une séparation précoce ? Combien passent l'été à le poursuivre avec un pot pour qu'il soit "propre" le jour J et ne se fasse pas recaler à ce premier examen d'entrée ?
Du temps "pour moi" ? C'est bien du temps qu'on savoure en faisant des choses qu'on apprécie personnellement ? A ce moment de ma vie, ce temps précieux pour moi, c'est du temps avec ma famille. Et comme mon conjoint travaille la journée, c'est surtout du temps avec mon fils. Je n'étouffe pas. J'avoue que je ferais bien une petite grasse mat' de temps à autre, mais ce que j'aime par dessus tout, c'est le voir s'éveiller au monde, voir la vie s'insuffler en lui. Je suis ravie de l'accompagner au parc, au club de gym, de chanter, de danser avec lui, de lui lire des histoire, de le voir empiler des casseroles et des petits pots, de lui faire découvrir la saveur des fruits frais... Ce sont mes joies de maman et de femme du moment. Je vais bien, lui aussi, pourquoi s'imposer des règles que les autres ont fixées ? Parce que c'est la norme, parce que c'est comme ça et qu'on ne remet pas les fondations d'une structure en cause, sinon tout s'effondre. Quelqu'un a estimé que 3 mois était le bon âge pour placer un bébé à la crèche et reprendre le travail . Alors zou ! Si les autres le font, pourquoi culpabiliser ? Un décret, une règle et c'est la déculpabilisation générale, puisque c'est la norme, cessons de nous poser des questions et d'écouter nos sentiments. Par contre la mère qui va écouter les besoins de son enfant, par exemple le placer à côté d'elle la nuit, l'allaiter pendant un an ou plus, choisir de rester à la maison pour s'occuper de son éducation... celle-là est montrée du doigt, culpabilisée, accusée de ne pas penser à l'équilibre de son enfant, voire même taxée de négligence !
Trois ans et demi après la naissance de notre premier fils, ma décision est limpide. Si l'hésitation était encore présente à mon arrivée à Bruxelles, avec la venue au monde d'un petit frère dans la famille, la fatigue, le changement de rythme, le partage de mon amour, de mon temps,... la participation à un forum de discussion sur l'IEF et les échanges d'idées, d'expériences, les rencontres avec des familles pratiquant ce mode d'éducation et de vie depuis des années, complètement décomplexées, m'a rendu plus forte dans mes convictions, plus sûre dans mes connaissances sur la législation et la pratique. Quand Nathanaël aurait dû faire sa première rentrée et que j'ai fait la première annonce de "non-rentrée", la famille n'a pas été scandalisée, juste dubitative mais respectueuse, interrogatrice mais bienveillante, ce qui a été et est toujours très appréciable ; les amis ne se prononcent pas trop sur le sujet, suivent cette aventure du coin de leur écran. Chacun attend je crois de voir au fil du temps ce que cette expérience va donner pour se forger ses convictions. Il y a quelques préjugés évidemment, qui touchent au début, et puis qui finalement passent au-dessus de nos vies.
A chacun de se poser les bonnes questions pour avancer sereinement et se construire la vie dont il rêve.
Les miennes m'ont amenée à ce choix qui ouvre la porte sur l'essentiel dans ma vie : partager le plus de moments possibles avec les personnes que j'aime, voir au côté de mon conjoint mes enfants vivre, grandir et devenir, guidés par nos mains et nos valeurs sur un chemin qu'ils feront leur, un chemin qui aura la saveur de la liberté...
Septembre 2010
Tags : famille, enfant, ecole, temps, bien